En y réfléchissant bien cependant, je pense que la première Anne "consciente" de ma collection accidentelle était Anne Sylvestre. J'avais quoi, six ou sept ans, peut-être moins (maman me corrigera) lorsque Anne Sylvestre a fait irruption dans notre vie. Les Fabulettes d'Anne Sylvestre accompagnaient notamment nos voyages de Carcassonne à Bordeaux. A l'époque, pas d'autoroute. Nous voyagions toujours en Citroën (boulot de papa oblige) et n'avions connu que cela, donc n'étions que rarement malades, malgré les suspensions dignes de Space Mountain. Nous avions à la maison un éventail important de 45 tours d'Anne Sylvestre, qui allait des aventures de la Petite Josette aux Fabulettes "chansons pour". Papa et maman avaient enregistré des cassettes que nous passions en boucle dans la voiture. Sur la "route des bosses", surnom que nous aviosn donné à la nationale 113 bien déglinguée, nous chantions à tue-tête entre deux jeux de "bornes". Je nous entends d'ailleurs encore demander "On joue aux bornes ?". Il s'agissait d'être le premier à voir la borne qui égrenait les kilomètres le long de la route. Je soupçonne mes parents d'avoir un peu triché en suivant le compteur, nous étions quant à nous le nez scotché à la fenêtre, les yeux rivés sur le bas-côté, tendus comme des arcs pour être la première à crier "borne !". Sur 350 kilomètres, ça devait être lassant. Les bornes sont des bestioles peureuses, elles avaient l'art de se cacher dans les herbes ou dans les fossés et étaient d'ailleurs plus faciles à repérer sur une nationale, où le rouge tranchait avec le vert des mauvaises herbes, que sur une départementale, où le jaune se fondait dans la végétation. Entre deux jeux de bornes donc, nous chantions à tue-tête les chansons d'Anne Sylvestre, que nous connaissions par coeur.

Une auto verte, une auto bleue, une auto rouge ou deux...
Oh papa mets ton clignoton, tonton, tontaine et tonton ;
mais ça s'appelle un clignotant, tant pis tant pis maman".

En écrivant ces mots, je ne peux m'empêcher de fredonner. Les mélodies d'Anne Sylvestre sont restées gravées dans ma mémoire et le sourire qui me vient en les chantant aujourd'hui me laisse dire que cette première Anne de ma vie a laissé une trace vive et belle. Sont-ce les mots qui réveillent mon enfance ? Ou simplement la chaleur des paroles qui font encore écho aujourd'hui à l'enfant que je suis ? "Dans ma fusée" me fait encore rêver, "Pour se réveiller" a gardé toute sa vérité de matins difficiles, "Je pense à Noël" remue au plus profond de mes entrailles l'idée que la religion pourrait être simple, si elle était vraie. Anne Sylvestre avait des mots plein de sens et des musiques qui prennent au coeur, des mots magiques.

J'ai d'ailleurs, depuis, racheté toutes les Fabulettes de mon enfance et d'autres encore, qui sont sorties bien après que j'ai passé l'âge de les écouter. Je ne dois pas être la seule à avoir été touchée. Lorsque ma soeur nous a envoyé il y a peu une vidéo de son fils, franco-anglo-australien par la naissance, il souriait aux anges et Anne Sylvestre chantait ses Fabulettes en musique de fond. Si un jour j'ai des enfants, je me suis promis de leur faire écouter ces chansons. Je ne peux qu'espérer qu'ils aimeront eux aussi. Les fabulettes sont des mots que l'on a envie de transmettre.

C'était donc la première Anne. D'autres ont suivi et ma collection s'est agrandie.

...à suivre...