Dans d'autres lieux, elle parle de multitudes, d'êtres de soi (de soie ?) qu'elle aurait laissés au bord de la route. De morts d'être, d'oublis et de renaissances. D'amalgame disparate dont je ne perçois plus bien l’origine. Elle me parle de ses multitudes et me donne envie de dire les miennes.

(I am large, I contain multitudes.) - Walt Whitman [1]

Comme il est long, le chemin qui mène à moi. Comme il est dense. A la question de l'incrédule Peut-on vraiment aimer plusieurs fois ? Peut-on vraiment faire entrer, dans un coeur somme toute physique, tout cet amour de l'autre, des autres ?, les mots de l'Amie The heart expands in the process.. Le coeur grandit avec. Le coeur s'adapte, comme un ventre de femme, qui aura juste assez de place pour le futur en marche. Et la carcasse ?

Je me retourne, un oeil par dessus l'épaule et je sais qu'elles ne sont pas mortes. Je ne peux pas me dire que ces autres moi, ces aimantes, ces rageantes, ces souriantes, la pinailleuse ou l'emmerdeuse, la silencieuse et la bavarde, celle que tu aimais, celle qu'il a aimée, l'iconoclaste, l'adolescente, la fille à lunettes, la petite grosse, la forte en thème et la nulle en latin, la grise du matin et la belle du jour, je ne me résous pas à les laisser partir. Je les accroche, je les pends à mon cou, je les emmitoufle. Elles sont toutes là, ces multitudes, un peu comme une croix, un peu comme un fardeau parfois. Mais surtout comme des vagues si salées de larmes et de rires qu'elles me portent plus souvent qu'elles ne me pèsent. Poussée, contre-poussée, elles sont mon apesanteur. Ces autres moi aux reflets de dauphine.

Je me rappelle certains de leurs mots, comme gravés dans le bois blanc du banc que l'une a assemblé de ses mains pour se reposer de la route longue, pendant que l'autre sous le chêne adjacent déclamait des poèmes. Je me rappelle leurs éclats, leurs ombres et leurs rayons. Je les aime toutes, je ne veux en oublier aucune. Je ne peux en oublier aucune. Elles sont mes multitudes, mon unicité. Elles sont une. Mon moi, mon toit.

Notes

[1] In Song of Me, 51