Ils sont deux, ou dix, ou peut-être même qu'ils sont cent et je suis seule. Ils ont des mots qui les relient. Ils n'ont pas oublié comment on écrit inattendu et n'ont pas besoin de dictionnaire. Ou s'ils en ont besoin, ce n'est pas qu'ils ont oublié, mais parce qu'ils n'ont jamais su. Il paraîtrait que l'orthographe, c'est comme nager, on sait ou on sait pas. Enfin, c'est ce que j'ai décidé. Pendant longtemps, sur les bancs de l'école, qui d'ailleurs étaient des chaises, je corrigeais les fautes de mes camarades de classe au nez et à la barbe de Madame J. (vraie, la barbe) lors des dictées en cours de français. Et aujourd'hui, je fais des fautes ridicules que je ne vois plus.

Speed © Delphine Ménard, CC-BY-SA

Ici, les phrases sont à l'envers et les mots tellement longs qu'ils font un peu peur. Je me rends compte que je dis les choses au moins deux fois. Une fois dans me tête pour mettre les mots dans le bon ordre. Je joue dans ma tête avec les mots comme ma fille joue avec une pièce de puzzle et essaie de combler les trous. Sauf qu'au contraire d'elle, je n'ai personne à qui demander d'un air innocent si "ça rentre", comme elle le fait tout en sachant pertinemment qu'elle a forcé et que donc, non, ça ne rentre pas.

Ils sont cent, ou dix, ou peut-être deux. Ils ont des vies plus ou moins longues et troublées, des histoires sordides que d'autres ne leur envient pas ou au contraire des histoires magnifiques de couleurs et de vent dans les cheveux et de sourires dont tous sont jaloux. Je suis seule et j'écoute Anne qui chante, "que tu sois l'une ou l'autre, souvent la marche est haute, pour trouver le bonheur". Je ne suis ni l'une, ni l'autre, je suis moi et là tout de suite, alors que le train avance de tunnel en verts paysages à deux-cent quarante-huit kilomètres à l'heure, j'ai envie de pleurer sans raison. Peut-être aussi parce qu'Anne raconte l'histoire de Lazare et Cécile et que de toutes façons, cette chanson m'a toujours bouleversée à en rire et pleurer à la fois.