Depuis quelques semaines (mois ?) maintenant, la plume me démange. La plume, la vraie. Il y a vingt ans, j'aurais pris mon stylo-Waterman-à-l'encre-bleu-noir et j'aurais écrit une lettre sans queue ni tête à celle-qui-se-reconnaîtra pour lui dire le soleil du printemps qui s'incruste, mes pensées du jour et mes délires de la nuit.

Il y a vingt ans, cependant, je n'aurais pu dire la fatigue liés aux pleurs incessants de mon enfant malade, ou la peur, celle qui tire des larmes, d'être une mauvaise mère parce que je ne sais pas calmer mon enfant qui, ayant fait l'impasse de la sieste, hurle de colère et de fatigue. Il y a vingt ans, je n'étais pas mère.

Mais là n'est pas mon propos, si propos il y a. J'ai des envies de mots. Des envies de retrouver ce moment magique où d'une pichenette on fait tomber le premier mot qui entraîne, en réaction en chaîne, le poème, la lettre, la prose, la nouvelle et qui sait... le roman. Ce flot simple, évident, plein de heurts, d'obstacles et de secousses mais dont le seul but, tel un ruisseau de montagne se jouant des courbes de niveau, est d'arriver à la mer, par les méandres des rivières et des fleuves.

J'ai coutume de dire que la lecture est du temps volé. Du temps que l'on n'a pas mais que l'on prend sur tout le reste. Écrire, raconter, bleu-noir sur page blanche, est aussi du temps volé. Mais c'est beaucoup de temps volé. On peut lire à la sauvette, entre la poire et le fromage, dans le bus ou la salle d'attente ou juste avant de s'endormir. Quelques lignes, quelques pages. Écrire, en revanche, demande (me demande) du calme. La plume bleu-noir veut son lot de cigarettes, de musique parfois, de flamme vacillante d'une bougie qui menace de s'éteindre à chaque coup de vent. L'écriture ne supporte pas d'être pressée, de regarder sa montre en se disant qu'il ne lui reste qu'une heure, une minute, une seconde.

Alors je tape. Ici, en passant, rarement, trop rarement. Et j'ai mal au clavier, car il lui manque la rature, la larme qui dissout l'encre et fait d'un "e" un nuage. J'ai la tête trop pleine et ne sais plus prendre le temps, ce temps volé.