Il y a des jours...et des lunes, disait un réalisateur célèbre. Ben aujourd'hui, c'est un jour. Peu importe la lune. Je vous passerai la plupart des détails sur ce qui fait d'un jour un jour, mais je voulais en relever un, qui illustre une de mes prises de tête pseudo-philosophiques du moment, sur l'interprétation.

Je l'ai dit et je le répète, j'ai appris les langues pour ne pas avoir à les traduire. Rien de plus énervant que de se retrouver coincée sur un mot dont on pense saisir très exactement le concept et de ne pas trouver le mot approprié, surtout dans sa propre langue. Cependant, l'exercice de traduction est à mon avis le meilleur exemple du poids que représentent la culture, l'état d'esprit et pourquoi pas le temps qu'il fait, sur la compréhension que l'on a des propos d'un autre. L'interprétation est un concept qui me taraude depuis longtemps et tout dernièrement, deux exemples sont venus confirmer mon idée que la communication n'est pas un métier, mais un art.

J'ai traduit il n'y a pas si longtemps (à la volée, je ne suis pas traductrice) un texte de l'anglais au français. A priori, la traduction d'une page telle que celle-ci aurait dû être plutôt facile. Le fait qu'en plus je n'avais absolument aucune idée préconçue sur le sujet aurait dû rendre celle-ci encore plus simple. J'étais assez éloignée du sujet pour pouvoir m'en détacher et donc espérer en faire une traduction honnête. Bernique. Je me suis littéralement arraché les cheveux. Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien, plusieurs facteurs en fait.


  • L'exercice de traduction oblige le traducteur à "comprendre" le texte, à le décortiquer, à l'analyser sous toutes les coutures, en saisir les nuances. Cela implique d'abord une certaine maîtrise de la langue, bien sûr, mais aussi une certaine clarté du texte original. Or le teste en question, une fois décortiqué, analysé, nuancé, ne possédait pas cette rigueur de construction qui aurait permis une traduction "honnête". Les mêmes termes étaient utilisés pour dire des choses qui, mises en contexte, n'avaient rien à voir les unes avec les autres, certaines phrases étaient à la limite du lyrique (rien de plus difficile à traduire), d'autres n'avaient aucun sens. Bien sûr, il faut prendre en compte le fait que mon anglais reste un anglais "seconde langue" et que je ne maîtrise pas toutes ses subtilités. Mais du coup, lorsqu'on ne comprend pas, comment traduire ? On ne peut qu'interpréter. Première ingérence.
  • Une fois le texte décortiqué et compris, on se rend compte tout à coup que l'on peut avoir sa propre opinion sur le sujet abordé. Dans ce cas-là, je n'étais pas vraiment d'accord avec les opinions exprimées, du moins en partie. Du coup, l'envie m'a taraudée tout au long de mon travail de traduction de changer une phrase ici ou là, pour, dans un sens, améliorer le texte et ce qu'il présentait. Mais ça, ce n'est pas possible. Du coup, bien que je me sois attachée à retranscrire au plus près ses idées et leur exposé, je n'ai pas aimé ce que j'ai écrit, et j'aurais voulu pouvoir dans la traduction de base intégrer les changements/commentaires qui me sont venus à l'esprit. Deuxième interprétation, deuxième ingérence.
  • Tout texte a un auteur. Parfois, on connaît l'auteur, et donc on utilise cette connaissance pour tirer des conclusions de ce qu'il a voulu dire, par telle ou telle tournure. D'autres fois, on ne connaît pas l'auteur, ce qui était le cas. Et là, de deux choses l'une... soit l'auteur s'est détaché de son texte et la traduction se fait sans prendre en compte sa personnalité, soit au contraire il l'a tellement imprégné qu'on *doit* la prendre en compte si l'on veut rester proche du texte de départ. Le problème survient alors lorsque la personnalité de l'auteur ne plaît pas au traducteur, surtout au traducteur à la petite semaine, comme moi. En gros, l'auteur m'a profondément énervée. Du coup, j'ai détesté mon texte final, qui ne me correspondait pas, mais alors pas du tout. Troisième interprétation, troisième ingérence.



On voit là que la simple lecture d'un texte peut engendrer des cas de conscience qui deviennent carrément d'énormes trucs insurmontables pour peu qu'on ait besoin de communiquer les infos qu'on en a retiré. Coup de chance, étant donné que la traduction n'est pas mon métier, je peux me permettre de lire les textes avant que de m'employer à les traduire, histoire de ne pas finir par écrire un truc qui me sort par les trous de nez. En fait, je me rends compte que la traduction impose un détachement que je n'ai pas. Et je tire mon chapeau à tous les interprètes du monde, s'ils arrivent à s'éloigner de ce qu'ils traduisent afin de retranscrire parfaitement les idées. Moi, je ne sais pas. Et encore, j'étais bien disposée. Parce que parfois, l'interprétation ne tient pas à une différence de langue, mais à un simple état d'esprit.

C'est là que vient mon deuxième exemple, franco-français. Sur le net, les gens parlent, s'expriment, racontent, on suit leurs interventions, qui nous font rire, nous énervent, sont hallucinantes (je vous renvoie par exemple vers l'excellent site sur luc2 qui décrit une personnalité pour le moins surprenante), pertinentes, cassantes, adorables... bref, tous les adjectifs et leur contraire. Donc, partant du principe que l'on est en contact permanent avec des gens qu'on n'a jamais rencontré pour de vrai, on finit par avoir l'impression de les connaître. Du coup, on pense en savoir assez sur eux pour prendre leurs remarques avec philosophie, sinon détachement. Puis arrive le jour où, pour une raison x ou y, (mal aux dents, mauvais moment du mois, temps pourri, journée fabuleuse, ivresse, mauvaise conscience, que sais-je ?) on lit un commentaire de l'une de ces personnes que l'on pense connaître. On l'interprète à la lueur de la personnalité qu'on a échafaudée dans notre petite tête, on remet dans un contexte (virtuel), on analyse (rapidement) et on tire une conclusion sur ce que veut dire le dit commentaire. Encore une fois, de deux choses l'une. Soit c'est tout bon (et on peut s'auto-congratuler de tant de perspicacité), soit c'est tout mauvais.

Donc, deuxième exemple. Je reçois un mail de l'une de ces personnes "virtuelles". Et là, je m'interroge. Je remets tout dans le contexte (mon contexte), et je me dis : "Zut, j'ai gaffé". Cette personne pour laquelle j'ai appris à avoir un certain respect, voire un respect certain, n'a pas du tout apprécié mon attitude. Et je prends son mail au premier degré. L'angoisse. J'interprète, je dissèque, avec ma mauvaise conscience, ma rage de dents et le temps pourri sur Paris et j'en reviens toujours à la même conclusion, j'ai grave gaffé. Nous revoilà devant l'éternel "de deux choses l'une". Soit je m'écrase et je reste avec mon interprétation (étayée par les circonstances que j'ai bien voulu y ajouter), soit je pose la question : "Que dois-je comprendre ?". J'ai choisi la deuxième solution. Bien m'en a pris. J'avais tout faux. Mais alors, plus faux que faux. Interprétation. Ingérence dans la pensée de l'autre. En gros, j'avais compris le contraire de ce qu'il y avait à comprendre. Et j'ai failli rater une copine, c'eût été trop bête.

Ce qui m'amène à la conclusion suivante. La communication est un art, dont l'interprétation est la palette et il faut être sacrément doué pour le mélange des couleurs si on veut arriver à obtenir le bon tableau. Sans compter qu'il faut aussi être prêt à finir artiste maudit et incompris.

Mots-clefs : virtuel, seconde langue, lyrique, de deux choses l'une.