Depuis 30 et quelques années que je trimballe ma carcasse de grosse de régime en régime, de pays en pays, de supermarché en marché, je me suis fait une petite idée sur la question de la "bonne bouffe". Je passe sur l'enfance boulotte et l'adolescence mal dégrossie. J'ai dû commencer les régimes à dix ans, genre, j'ai des souvenirs de gruyère à la moutarde au petit-déjeuner (pas des mauvais ceci dit, mais quand j'y pense aujourd'hui, je me demande ce que le gruyère à la moutarde au petit déjeuner pouvait avoir d'équilibré) avant de partir à l'école.

Puis je suis partie aux US. Alors là, Byzance. Je me rappelle mon étonnement et ma joie intense en découvrant la soda fountain, déversant à grands flots Coca-Cola, Dr Pepper et autres sodas d'autant plus prisés qu'ils étaient interdits à la maison. Sans compter les macaroni and cheese (dont j'ai plus tard découvert que le "cheese" arrivait en poudre - rahh !). Ca c'était au début. Parce que j'ai vite laissé tomber (faute de goût - vous avez déjà essayé le Dr Pepper ? c'est imbuvable, ce truc). Et, croyez-le ou non, sur les 150 élèves venus de 80 pays du monde, j'ai dû être la seule à perdre des kilos alors que tout le monde en prenait. Sutout les italiennes. Bref, les États-Unis étaient déjà à l'époque (1987-89) le paradis de la bouffe débile, dans le genre low fat en lettres grosses et grasses, cheese en poudre et mini-pizza surgelée multi-million-calorique on a du mal à qualifier de "nourriture" les trucs qu'on trouve, surtout dans les cafeterias de lycées. Soyons honnêtes, il y avait quand même un "salad bar", lequel fut mon rayon de soleil une fois la première euphorie adolescente-qui-veut-de-la-junk-food passée.

Retour en France ensuite et à la bonne cuisine de maman. Yes ! Puis Paris, chambre de bonne, pas de réfrigérateur. Je me suis nourrie, pendant un an, tous les jours au déjeuner, d'une baguette de chez Paul (à l'époque, Paul ne faisait pas encore le tabac qu'il fait aujourd'hui, dans toutes les gares et les aéroports de France et de Navarre, c'était classe, Paul) et d'un Saint-Marcelin du crémier de la galerie marchande de la rue de Bellefeuilles. Dans le XVIe coin rue de la Pompe, c'était tout ce que je pouvais me permettre. Et le soir 4 yaourts (pas de frigo et mini-plaque électrique dans 9m² obligent), sauf en hiver où je limitais la casse en laissant trois yaourts dehors pour le lendemain et en réchauffant une boîte de petits pois. J'ai le nez fin et l'odeur des petits pois le matin... moyen. Mais ce régime déséquilibré ne m'a pas vraiment permis de passer du côté des filiformes, malgré les sept étages, sans ascenseur.

Vie étudiante avec ma soeur pendant trois ans. Elle cuisinait bien, mais je claquais mon argent de poche au cinéma, en téléphone et en voyages plutôt qu'en bonne bouffe. Résultats, pâtes à tous les repas. C'est quand même grâce à ma soeur que j'ai laissé tomber le sucre dans le café. Petite victoire. Enfin, c'était surtout parce qu'on n'avait plus de place dans le placard.

L'Autriche. Ahhh, l'Autriche. La bonne bouffe germanique, charcuterie à outrance assaisonnée de patates, de pains en tous genres et arrosée de bière. Mortel, la bière. Y'a pas vraiment de bière light, dans ces pays-là.

Le séjour à Lille qui a suivi a été le début d'une prise de conscience côté "gourmet". Les belles années lardons-oignons-fromage rapé. Je cuisinais un minimum et évitais les pâtes à l'eau, que j'assaisonnais de l'un des ces trois ingrédients, quel que soit le temps. Un début.

Puis j'ai vieilli, je suis passée à l'huile d'olive, aux légumes frais, à la cuisine au gaz (que j'ai dû abandonner pour l'électrique en venant en Allemagne, misère !) et aux plats réfléchis. J'ai eu ma période Montignac, j'ai même dû perdre quinze kilos. J'étais surtout bien dans ma tête et avait décidé que ça marcherait. J'ai acheté du light, du 0%, du pas de matières grasses, du sans sucre. Mais ça coûte un fric monstre de manger light et ça prend un temps fou de cuisiner Montignac, surtout quand on est toute seule.

En arrivant ici, j'ai recommencé la bière (toujours ce fameux syndrôme du truc qu'on n'a pas chez soi, la nouveauté quoi...) et si j'avais pas mis le hola, on serait encore à la pizza surgelée et aux machins tout prêts de chez Knorr ou Maggi (non mais faut voir les étagères de Knorr et Maggi dans ce pays, c'est hallucinant tout ce qu'ils font ici en terme de boustifaille en flocons). Mais bon, pour deux, c'est plus sympa de cuisiner vraiment. Mais j'ai forcé sur la charcuterie et le pain avant de trouver un certain équilibre, ce qui fait que je pète dans mes pantalons. Je l'avoue, de temps en temps, je craque pour un yaourt diät. Mais j'ai découvert le marché, alors peut-être, qui sait, que je vais bien manger ? Je vais commencer par m'acheter le bouquin cité en début de billet...