L'anglais et le français ont pour moi chacun une histoire et une résonance qu'il m'est souvent très difficile de traduire.

Le dicton du jour[1] d'aujourd'hui en est un exemple flagrant.

Il disait ça :

Peu importe la blessure.
Peu importe l'envie que tu as de répondre au coup par le coup.
Si tu laisses le temps,
D'autres viendront te défendre.

et la traduction en anglais

No matter the wound.
No matter the urge you may feel to answer the blow with a blow.
If you leave them time
Others will come and defend you.

Pour ceux qui ne lisent qu'une langue, pas de problème. Pour ceux qui lisent les deux, ils relèveront peut-être les différences. Pour moi, l'écrire et le traduire a été pour le moins difficile.

En fait, il est toujours extrêmement ardu de donner aux mots, en traduisant d'une langue à l'autre, le sens exact de ce que l'on veut dire. Partant du principe que le français comme l'anglais sont des langues qui sont à portée de mon cerveau, celui-ci me joue des tours en me donnant les mots qui traduisent mes sentiments, sans me donner le choix de penser dans une langue ou dans l'autre. Je pense dans les deux. Ce sont donc toujours les mots exacts qui viennent, sauf qu'ils viennent indifféremment dans une langue ou l'autre. Un joyeux bordel.

Je vais essayer de décortiquer le processus.

J'ai commencé à écrire le dicton en français. Le peu importe était extrêmement important. Il me semble porter en lui bien plus de choses que le no matter par lequel je l'ai traduit. J'ai longtemps hésité à le traduire par no matter how deep the wound par exemple (peu importe la profondeur de la blessure) mais du coup, c'était le réduire à une seule interprétation, alors que peu importe laisse la porte ouverte à des dizaines d'interprétations. J'ai choisi no matter, faute de mieux.

La deuxième phrase est venue en anglais au départ : je voulais utiliser "strike back" qui a l'avantage de dire simplement le coup qui part et le coup qui revient. Mais le français ne sais pas rendre ce back de façon claire, il aurait fallu utiliser une périphrase. Je suis donc repartie sur le français et répondre s'est imposé. Je l'ai alors traduit à nouveau en anglais. Pour le coup, je trouve que les deux phrases ont exactement le même sens en français et en anglais. En tous cas, elles l'ont pour moi.

Laisse le temps est venu en français. J'ai joué un moment avec laisser le temps au temps, puis me suis décidée pour l'ellipse, je laisse au lecteur le choix de finir la phrase comme il l'entend, ou de ne pas la finir. L'anglais leave the time aurait eu une signification complètement différente. J'aurais pu choisir "Leave time", mais je ne l'ai pas fait. J'ai donc choisi le leave them time, qui pour le coup est très restrcitif. Laisse leur le temps. C'est déjà une interprétation de la phrase française, qu'un traducteur extérieur n'aurait peut-être pas pris la liberté de faire.

Dans la dernière phrase, pour le coup, c'est le français qui est un peu plus restrictif. D'autres viendront te défendre implique clairement que les autres viennent pour défendre. L'anglais, par la grammaire, permet d'être un peu plus ouverte. J'ai le vague souvenir de cours de grammaire anglaise qui expliquaient qu'on ne traduisait pas venir faire quelque chose par come to do something mais par come and do something. Peut-être n'est-ce qu'un souvenir, mais du coup, en lisant la phrase en anglais et en la retraduisant en français, j'y trouve plus de sens. Les autres viendront et il te défendront. Cela décortique le mouvement en deux temps, ce que ne fait pas la phrase française.

En fait, le plus intéressant dans cette histoire, est que je me rends compte que se traduire soi-même est un exercice à la fois réducteur et amplificateur. Finalement, le vrai dicton du jour, ce sont les deux versions côte à côte.

Notes

[1] Un dicton quotidien que j'envoie à toute une liste de gens, avec mes mots ou ceux d'autres qui m'ont touchée, en anglais et en français.