Mon apolitisme invétéré fait que j'ai zappé à l'époque le contenu entier de la conférence, qui devait se rapporter à quelques conflits politiques et la façon dont ils étaient gérés. En revanche, à la fin de la conférence, les intervenants nous ont donné une petite boîte à outils rapide, que j'ai gardée tout ce temps et que je tente encore aujourd'hui d'utiliser dans mes démarches de communication.

Depuis, j'ai revisité ces outils qui sont en quelque sorte le B-A BA de toute démarche de médiation à la lumière de différents modèles plus ou moins compliqués appliqués dans des séminaires de management, de stratégie et autres travaux de groupe intéressants. Ma compréhension de ces outils remonte cependant à cette première conférence.

Premier outil : le "I statement", le "parler au je" ou "le tu tue"

En gros, il s'agit de toujours s'impliquer dans ce que l'on dit. Plutôt que de dire "tu ne comprends rien", tenter le "je n'ai pas dû m'exprimer clairement". Plutôt que d'envoyer un "tu n'écoutes pas ce que je dis" essayer un "je n'ai pas l'impression que tu écoutes ce que je dis". Ca paraît tout bête, mais c'est un exercice somme toute assez difficile. (Tiens, preuve par l'exemple ! la formulation correcte de cette phrase aurait été "je trouve que c'est un exercice assez difficile"). L'idée derrière ce "je" est d'une part de véritablement réfléchir ce que je dis, de le penser, d'en mesurer la portée et d'autre part de ne pas directement agresser l'autre en le mettant en porte-à-faux. Dire à quelqu'un, "Tu es vraiment très con" laisse finalement peu de doute sur l'universalité du problème. "Je suis con, c'est un fait, et personne ne peut le nier" pourrait être une interprétation que l'autre dérive de la phrase. Lui dire "je pense que tu es con", ou "je te trouve con" donne déjà un peu plus de liberté à l'autre. Il peut au moins se dire "bon, elle pense que je suis con, ce n'est pas le cas du monde entier".

Deuxième outil : éviter l'art du ping-pong, ou l'acceptation de la critique.

A la même phrase "tu es con" répondre "toi aussi" va invariablement déboucher sur une impasse, un arrêt de la communication. Partant du principe que l'outil numéro 1 est déjà absent de cette phrase, il faut apprendre à se défendre intelligemment. Il manque le "je" au répondant de le remettre dans la critique. A l'affirmation "tu es con" je répondrais plutôt "tu penses que je suis con, d'accord, j'accepte cette critique, mais je voudrais savoir pourquoi tu penses cela ?". On remet la communication sur les rails en replaçant les responsabilités. Le mécanisme là vise à accepter le sentiment de l'autre, à le replacer dans un contexte plus favorable et à demander les raisons de ce sentiment. Très souvent, l'acceptation de la critique plutôt que son déni, ou son renvoi tel quel dans la face de l'autre, permet d'étayer le débat et de désamorcer ce qui peut finir en une conversation frustrante pour les deux parties.

Pour avoir fait l'essai plusieurs fois, l'acceptation de la critique est parfois même assez déstabilisant pour l'"agresseur". Conversation typique :

A : "Tu es con !"
B : "Oui, tu as raison, je suis probablement con, peux-tu cependant me dire exactement en quoi je suis con ?"
A : "Euh, ben, c'est pas vraiment ce que je voulais dire, mais là vraiment, tu as agi n'importe comment".

On retombe sur la critique constructive de l'action plutôt que de la personne. On passe du ping-pong au match de foot, où le jeu se joue en équipe et où le but redevient commun, trouver une solution à un problème donné.

Troisième outil : ce que je pense, ce que je dis, ce que l'autre entend et ce que l'autre comprend

Et là, croyez-moi, entre ce que je pense et ce que l'autre comprend, il y a au moins l'équivalent de trois fois la distance de la terre à la lune. J'ai déjà ébauché ailleurs ma théorie sur l'interprétation, dérivée en fait de ce troisième outil.

Le secret, pour combler le fossé qui sépare ce que je pense de ce que l'autre comprend, se cache d'une part dans le postulat de base qui dit "je ne suis pas dans la tête de l'autre, donc il se peut que j'ai mal interprété" et d'autre part dans cet outil fantastique qu'est la reformulation.

Le postulat de base est le plus difficile. Dans un monde idéal, il faudrait arriver à se détacher complètement de soi, des sentiments qu'on a pour l'autre et regarder d'un oeil neutre les mots utilisés dans la communication. Inutile de dire que dans notre monde, c'est particulièrement impossible. Nous arrivons tous avec une culture, un passé, une humeur et nos mots sont souvent le produit de tout cela. Tant les mots que nous disons que ceux que nous recevons. Du coup, il faut apprendre à prendre un pas de recul. Avant de répondre à une question, une affirmation, une critique, avant de s'énerver et de retomber dans le ping-pong ou la conversation stérile, il faut se demander "ai-je bien compris cela comme cela a été pensé ?".

Combien de fois me suis-je retrouvée dans une situation où, par manque d'information, par interprétation trop rapide d'un mot ou d'un ton, j'ai répondu à côté de la plaque ? Trois milliards, au moins. Je crois que c'est l'outil le plus difficile à mettre en oeuvre. Il faut arriver à encaisser d'une part, à analyser de l'autre, à reformuler ensuite pour être sûr qu'on a bien compris et après, seulement après, à répondre.

En gros, il ne faut jamais oublier de demander "j'ai compris cela, est-ce que c'est bien ce que tu as voulu dire ?". Et le redemander et le re-redemander pour être sûr qu'on ne répond pas à côté. Je crois que nous avons tous tendance à ne prendre dans les mots que ceux qui vont bien avec notre humeur du moment, qu'ils soient bons ou mauvais et que l'interprétation trop rapide nous amène parfois à voir des vessies là où il n'y a que lanternes et des montagnes où il n'y a que fourmilières.

La difficulté principale de la reformulation réside à mon avis dans le fait que s'arrêter trois minutes pour être sûr que les mots ont la même signification pour les deux parties (et donc finalement partir du principe que l'on n'a pas compris, ou que l'on s'est mal exprimé) demande une sacrée dose d'humilité. Que moi, en tous cas, je n'ai pas. Mais je me soigne (depuis au moins vingt ans... c'est pas gagné, mon histoire).

Conclusion

Pour finir, une situation (bien sûr complètement inventée) pour illustrer le tout.

A : "Tu n'as pas fait la vaisselle !"
B : "Peut-être, mais toi, hier, tu ne l'as pas faite non plus et puis de toutes façons, tu as toujours quelque chose à me reprocher, j'en ai assez !"

La conversation stérile par excellence. Agression par le tu (le tu tue), reproche sous-jacent dans le ton, match de ping-pong de haute volée, extension du sens de la phrase "vaisselle" qui n'était finalement que l'énoncé d'un fait.

Ce que je pense qu'il faudrait dire :

A : "Tu n'as pas fait la vaisselle !"
B : "C'est vrai, mais je trouve le ton que tu emploies empli de reproches. Essaies-tu de me dire autre chose ?".

Acceptation, parler "je" pour qualifier le ton, tentative de reformulation des sentiments pour ouvrir la communication.

Ce serait bien si on savait faire ça tout le temps, non ?